par myel

6h58

C’est l’heure où je m’abîme
Où les paupières me lâchent
Où les prunelles se fâchent
C’est l’heure où tout s’anime

Laisse-moi un instant
Persister dans le drame
Laisse-moi sous le charme
De ce rêve entêtant

Je suis pris dans un piège
Encordé, ficelé
Masqué pour m’aveugler
Tremblant, nu sur ce siège

Aucune idée de qui
Voudrait me faire subir
Cette tension, ce désir
Ce vertige engourdi

Mais je m’y laisse chuter
Mentalement chavirer
Sur ma peau savourer
L’étreinte, oh avortée

Par la réalité
Par le maudit réveil
Qui me sort du sommeil
Où j’étais si gâté

9. A l’adresse de l’éveil j’ai caressé tes rêves

(lire les épisodes précédents…)

Une terrasse éclairée, brillante et floue comme une oasis au milieu de la nuit, de la ville, de l’instant où pour elle devenait nécessaire, de s’adosser une chaise. De coudoyer une table. De se vider un verre.

Le sortilège d’hiver avait eu pour effet de lier sans fin jours et nuits, comme deux réalités infinies, indéfinies, de les conjoindre à partir du moment où j’invoquai sans bruit, l’arrêt de la fatigue.

La première journée fut remplie de doutes : allais-je tomber au bout ? Quelles étaient mes limites ? Comment remplir ces heures en prime, cadeaux de mon nouvel état de veille ?

Je restai debout toute la nuit, et le jour suivant et sa nuit aussi. En découla une évidente réponse à la seconde question : aucune borne n’entourait ces nouvelles insomnies. Mon corps était alerte, prêt à suivre le cours de mes envies fantasques et elles ne manquaient pas. Je pouvais voyager, travailler sans être épuisée pour voyager encore, céder à tous les attraits, répondre à des centaines d’invitations. J’envoyais sans faillir depuis chaque nouvelle place une carte postale à celui qui m’offrit à Noël ce pouvoir. La rose était rangée, dans le cœur tempéré de mon chêne domestique prenant une année sabbatique  afin qu’elle conservât ses pétales enchantés jusqu’au prochain besoin, que j’imaginais très lointain.

Mes doutes avaient changé à mesure des semaines. Était ce bien le même monde qui m’entourait le jour et m’enveloppait la nuit ? Qu’avais-je fait de la nuit ? Avais-je tout décalé ? Que devenaient les heures où la raison m’aurait assoupie ? Comment les repérer ? Comment les contrôler ? Comment vérifier que ces mois n’étaient pas juste un rêve très long, l’inverse de ce que je sentais ?

La sollicitation sans cesser de l’esprit, rendait paranoïaque et fatiguait le cœur  Voilà la limite que je découvris face à la lumière criante de l’enseigne, clignotant pour dire « Stop, tu débloques ». Les sièges étaient libres à cette heure, mais je n’attendis pas une minute le serveur.

– Bienvenue au bar à sommeil. Que puis-je vous servir ?
– Une limonade s’il vous plait.
– Je ne mets pas d’humour dans mes présentations. Nous n’avons rien à boire qui n’ait de bulles magiques, au citron s’il le faut mais consultez la carte et dites moi vos nouvelles…

L’étrange homme à roller apparut à mes yeux, en s’éloignant de dos, son plateau sous le bras. Sa voix ne bougeait pas, mais semblait provenir du carton déposé sur la table devant moi.

« La terrasse est un leurre. Pour entrer tapez trois, fois sur la table et fermez, les yeux sans avoir peur. Si vous tenez vraiment à votre limonade, faudra aller en face. »

Les hallucinations c’était plutôt mon fort, depuis ces derniers mois, je voulais voir jusqu’où celle-ci pourrait m’emmener. Je frappai pour entrer comme indiqué.

Le magicien leva les yeux sur l’escalier de pierres, attendant que j’y pose le pied pour descendre et ne plus entendre que la musique hurlante et les rires des clients. Je le suivis pour traverser la cave, jusqu’à un endroit calme et isolé du bruit, où tremblaient quelques corps au bord de l’ivresse et de l’épuisement. J’observai comme ses yeux étaient assombris depuis « Noël » dernier, comme il semblait changé…

« Qu’as-tu pensé de mon théâtre avant la fin du monde ? As-tu apprécié ces mois sans limites ? Je me suis épuisé à somnoler pour toi, la magie ne naît pas de rien… Et ce soir j’ai jugé, bon, de se libérer dans ma dernière création…

– C’est toi qui a bâti ces murs ? Où sommes-nous ? Je n’en pouvais plus de ne pas dormir, et pour que tu ailles mieux, je te rends mon souhait volontiers !

– Ce ne sera pas si simple… J’ai construit ce bar et l’hôtel dans les étages pour venir à bout des sorts anti-nuit, va falloir me suivre pour y renoncer… »

Pendant les premières heures nous avons fait vibrer de nos têtes à nos pieds la musique du sous-sol, jusqu’à finir transis à l’idée de la suite, car l’antidote avait à peine commencé.

Chaque étage libérait son gros lot de chahuts. Ses tapis à roulettes, escalades sans fenêtres, araignées sauteuses couvrant la moquette. J’avais l’impression de payer pour tous les cauchemars évités durant l’année passée. Les fantômes surgissant, les loups nous poursuivant, la sensation que s’échappent toutes mes dents.

J’ai maudit cet hôtel jusqu’à ce que, nue dans la foule (la honte), je sente les tourments se muer en scénettes érotiques : rien de cadré, comme dans un rêve et rien de réaliste… Et ses mains sur mes, soupirs dans nos cheveux, tombent en hurlant « mais encore encore ! », échanger nos salives, être l’autre, avoir l’autre, effondré de vertige à mes pieds, rougissant. S’envoler.

S’envoler mais vraiment. Décoller d’un bond vers les cimes et s’arrondir les jambes, faire des pirouettes aux côtés des corbeaux, changer la couleur du levant, valdinguer sans vertige et se poser, comme une fleur près d’une fleur, douce orangée, chaleureuse et coquette, moelleuse et satisfaite, de ce voyage qui de l’orage au feu, jusqu’à la légèreté, me fit ouvrir l’œil. Enfin la porte en forme d’œil.

Derrière, la dernière chambre était une chambre tout simplement, le magicien m’épris la main pour soulever la couette et mes membres engourdis. Sans dire un mot nous nous lovâmes comme des chatons ; je redécouvris le plaisir de juste s’endormir. La lourdeur des paupières qui vaut son pesant d’or, la tiédeur se dessine sur la surface des draps et des peaux qui ne bougent, presque plus, et les mots qui s’affolent, idées de la journée, que dis-je l’année passée, qui se repassent en vrac et forment des syntaxes à s’en mourir de rire. Le moment où l’on tombe d’une chaise comme d’une falaise et les muscles secouent le voisin qui gronchonne. Après c’est le trou noir, une bonne nuit sans rêve, histoire de faire le vide et le plein d’énergie pour délier le rythme à reprendre demain.

Vivement demain d’ailleurs ! Que je revive l’instant perdu depuis longtemps, des yeux qui s’ouvrent aux côtés d’un sourire naissant.

Agapè

brume opaque je m’éveille aux côtés de la lune
variante elle me gouverne, tire chacune des ficelles
du moi-pantin qui la veille vous a pris pour une
passante, une filante, une perle, une étincelle

chancelant je m’habille, m’échappe à petits pas
sur celui de la porte, je vacille, nuit27 oublie moi
funambule l’escalier, somnambule la déroute
retombant sur mes pieds pour écraser le doute

*

je suspends pour un instant l’air, le fil du temps

*

mon souffle se raccroche au jour
je redélimite les espaces
et celle qui mieux m’enlace,
confine mes alentours

c’est celle qui m’équilibre et me déséquilibre
celle qui me détient, me retient
celle avec qui je me sens libre
celle sans qui je ne tiens à rien

*

le vertige ne me penche que si je l’infortune
et je regarde, le ciel s’enlacer de mes lacets à la lune

*

orageuse reprise de conscience qui tempête
les rideaux volent au vent mais je suis attaché
sous une nuit sauvage de chanvre pour esthètes
comme il est malaisé de m’en détricoter

de démêler ses noeuds, repousser ses cheveux
filer devant la nuit anglaise sans faire l’aveu
(vite les cordes ont sauté juste avant de me pendre)
que je rêverai encore de ses pièges à me tendre

*

et je suspends pour un instant l’air sur le fil du temps

je brode, levant les yeux, des corps à relier
des étoiles rutilantes, des points comme des baisers
je reconnais le fil, rubis, de mes pensées
à la lune je demande de me faire son allié

*

mais quand je rentre à contre-jour
quand je rembobine les audaces
celle qui m’anime, tenace,
me dévoile sans détour

c’est celle qui m’équilibre et me déséquilibre
celle qui me détient, me retient
celle avec qui je me sens libre
celle sans qui je ne tiens à rien

*

le vertige ne me penche que si je l’infortune
et je regarde, le ciel s’enlacer de mes lacets comme autant de souhaits à la lune

*

j’ai des nuits sages aussi, de longues nuits sereines
pour se contrebalancer des plus échancrées
des relations fragiles comme de la porcelaine
qu’on effleure, que je cueille, où s’évasent mes secrets

amies sages ou domptées, je sais ces nuits précieuses
et les vois si rarement que je les rends soucieuses
elles me savent, m’interpellent, m’interdisent leur chaleur
ce sont elles qui me tirent des rêveries quand vient l’heure

*

de suspendre un instant l’air du temps sur un fil
le tendre entre deux jours, trente-quatre nuits, cent vies
à mes pieds le vertige, son règne inassouvi
levant les bras, la lune, son sourire de profil

*

je la décroche enfin, bonjour
l’empoche elle ne prend pas de place
un soupir sous la glace
ne freine pas l’amour

de celle qui m’équilibre et me déséquilibre
celle qui me détient, me retient
celle avec qui je me sens libre
celle sans qui je ne tiens à rien

celle qui sait délacer le ciel dans ses prunelles
celle qui d’entre les ombres sans faillir me rattrape
mon filet
ma dentelle
mon agapè

Un peu moins vite, un peu plus fort

C’est la fin des fêtes de famille : tout le monde s’embrasse au bord du chemin, remonte en voiture et reprend la route. Il manque une place on ne sait plus comment, tout le monde est venu ; j’attends sur le bas-côté que mon grand-père et un oncle ramènent les premiers puis reviennent me chercher.

Je commence à trembler dès qu’ils réapparaissent, l’Espace troqué contre une moto pour l’un, l’autre un scooter trois roues. Obligée de choisir je monte derrière celui qui parait le plus stable, et m’accroche.

Il démarre, accélère, je sais que ce n’est pas celui de mes oncles le plus prudent, il fonce maintenant. Me reviennent des images de l’Accident. L’assurance de ma soeur, les premiers décollages, les bosses, les rires. Sous le soleil des vacances le bond de travers, le scooter qui s’écrase et nous glisse sur les jambes, à gauche. La reprise de conscience, se relever, écorchées des bras des cuisses de la bouche. Une bouteille d’eau pour seule pharmacie, rien de cassé, faut reprendre la route et rentrer courbées sans trop rien montrer. L’image la plus frappante est le sol qui s’approche avec le mauvais angle, elle remonte parfois comme là pendant mes cauchemars.

Et je m’accroche, il accélère, je tiens les poignées passager sentant que si je lâche c’est fini je pars en arrière nous arrivons sur l’autoroute. Il accélère, mes mains moites glissent, il slalome entre les files et je lui hurle de ralentir. Je tremble, revient l’image de l’accident, la sensation de vulnérabilité de ces engins sans habitacle, je tremble. Il finit par comprendre que mes angoisses, c’est du sérieux, qu’on ne se marre pas avec la vitesse, peu importe le nombre de roues. Peu importe la route, quand je n’ai pas confiance je tremble.

J’éveille en sueur, sursaut, tremblante, n’osant bouger ni pour consulter l’heure, ni pour me lever tant il faut du temps pour me calmer. Je respire lentement, m’apaise, retrouve le sommeil pour plus de douceur.

Une jolie brune dans un aéroport, seule, parcourt les halls. Une vieille dame en voix off tente de la rassurer : « tu n’es pas grosse, tu es belle comme tout mais crois moi ». La jeune fille n’a pas de confiance, en elle, en l’autre, elle se perd dans ce lieu de transit mais désert. Je la cueille, tombons amoureuses ; elle me sourit quand je lui dis qu’elle resplendit. Elle résiste quand la vieille veut l’emmener au Viet Nam, pour travailler… Restons ensemble. Dans cet aéroport où l’on peut frôler les avions depuis des tours de guet, grimpées en courant comme des enfants, remontant les toboggans à l’envers… Rêvons ensemble.

Ne me laisse pas t’échapper

Il est entré chez moi par effraction, en traversant les vitres des baies. Je l’ai repéré quand il avançait dans la cuisine, j’étais en haut de l’escalier. C’était un homme banal, un cliché, un standard. Et je n’avais pas très peur à le voir, ce n’était qu’un cauchemar.

Il est entré chez moi pour voler, me voler. Kidnapper, séquestrer. Une intention violente et inquiétante enveloppait ses gestes : il cherchait, me cherchait.

Quand il a entrepris la montée des marches, je ne me suis pas enfuie, pas cachée, je voulais tout savoir. Qu’il me saisisse, me soulève, me renverse et m’attache, m’emmène dans sa tanière ou me ligote dans mon propre salon. Savoir.

Mais j’ai vu dans ses yeux la crainte et même de la douceur. Il a reculé, voulu s’échapper. J’ai crié : « Non ! », j’ai attrapé ses bras, je m’y suis jetée j’ai dit : « Maintenant tu restes là !  Tu t’amuses avec moi.. ». J’ai mis toute ma force à le retenir, à lui expliquer les principes du piège, et qu’on n’effraie pas les jeunes filles pour si peu, pas comme ça, sans froncer les sourcils, en montrant ses faiblesses.

J’ai fermé les yeux très très fort pour que les parois du couloir se serrent sous mes paupières. Pour ne pas m’éveiller. Rester coincée dans ses bras stupéfaits.